GRAND JEU (LE)

GRAND JEU (LE)

GRAND JEU LE

Dans l’histoire du surréalisme, 1928 est une année calme. C’est l’année des grandes réalisations. Les événements qui suscitent sinon des crises et des ruptures, du moins d’âpres discussions au sein du groupe surréaliste, se font rares. Après la Première Guerre mondiale et celle du Maroc, après la révolution d’Octobre et en attendant la crise économique, l’histoire reprend son souffle. Le groupe surréaliste est lui-même apaisé. Point de retentissantes querelles. C’est l’année où paraît Nadja et Le Surréalisme et la peinture de Breton. C’est l’année des expositions de Max Ernst et de l’exposition générale des œuvres surréalistes au Sacre du Printemps. Le surréalisme est à son apogée: admis en tant qu’avant-garde, il a un public assez vaste. Il a fait et il est en train de faire ses preuves. C’est le moment que choisissent de jeunes disciples du mouvement pour lancer une revue Le Grand Jeu , revue éphémère, puisqu’elle n’aura que trois numéros, mais qui marquera, malgré tout, le mouvement dans son ensemble.

C’est Roger Vailland, Roger Gilbert-Lecomte, René Daumal et le peintre Joseph Sima qui fonderont cette revue. Se réclamant de Rimbaud, «mystique, occultiste, révolutionnaire, poète», la revue se propose, ainsi qu’elle l’annonce, «avant tout de faire désespérer les hommes d’eux-mêmes et de la société». Fidèle à l’esprit du surréalisme, elle ajoute: «De ce massacre d’espoir naîtra une espérance sanglante et sans pitié: être éternel par refus de vouloir durer. Nos découvertes sont celles de l’éclatement et de la dissolution de tout ce qui est organisé.»

Trois thèmes animent cette entreprise. D’abord, faire le procès du rationalisme. Ensuite, rechercher la «parole absolue» pour rendre au langage son caractère absolu et intuitif (le langage crée la pensée). Enfin, la recherche d’une métaphysique de l’action à travers une redécouverte du fait religieux dans toute sa pureté. A. Rolland de Renéville expliquera que l’un des buts de la revue est de «convaincre les éventuels lecteurs que la poésie, loin d’être une activité de luxe, ne peut être conçue qu’en tant que réflexion — celle d’un esprit qui réfléchit ses propres trésors».

C’est ainsi que René Daumal fera ses premières armes, publiant dans les trois numéros de la revue (été 1928, printemps 1929, automne 1930) ses premiers poèmes. Georges Ribemont-Dessaignes, l’aîné de la bande, rejoindra bientôt le petit groupe. Pourtant Le Grand Jeu n’est pas apprécié du groupe surréaliste, et en particulier de Breton. Le mysticisme de la revue, ses références pêle-mêle à Platon, au Bouddha, au Christ, à Balzac et à Rimbaud attirent les foudres de Breton qui la voit encore trop accrochée aux basques de la littérature. Loin de se livrer, comme Le Grand Jeu , à des exercices de «métaphysique expérimentale», les surréalistes se veulent aux prises avec les problèmes concrets, et en particulier se rattachent à la révolution.

En 1929, après l’adhésion au Parti communiste français de Breton et des surréalistes, le problème des exclusions du groupe se pose avec plus d’acuité encore qu’en 1926, quand Artaud et Soupault avaient été «excommuniés» à grand bruit. Une réunion a lieu en mars 1929 et a pour thème «l’examen critique du sort récemment fait à Léon Trotski», qui venait d’être exilé après avoir été écarté du pouvoir par Staline. La discussion sur Trotski est à peine esquissée que des divergences apparaissent. Breton décide qu’il faut d’abord se prononcer «sur la qualification morale» des participants. Immédiatement le procès du Grand Jeu s’engage. On lui reproche de ne pas faire de choix politique; de préférer Landru à Sacco et Vanzetti; d’avoir participé au théâtre Alfred-Jarry. On reproche surtout à Roger Vailland, journaliste à Paris-Midi , d’avoir fait le panégyrique de Chiappe, le préfet de police. Ribemont-Dessaignes, écœuré par le côté sordide de ce procès, quitte ostensiblement la salle. C’est la rupture entre Le Grand Jeu , qui survivra un an à cette cérémonie macabre, et le groupe surréaliste. C’est l’échec de cette réunion (puisqu’il s’agissait avant tout de trouver une action collective commune) qui poussera Breton à publier son Second Manifeste du surréalisme pour préciser ses positions.

Avec la disparition du Grand Jeu , qui avait rassemblé en 1929, dans une grande exposition, les œuvres de peintres comme Joseph Sima et Maurice Henry, c’est toute une fraction du mouvement surréaliste qui disparaît. Il est vrai que, outre ses divergences fondamentales avec le groupe, la revue — au moment où les crises sociales se font de plus en plus graves, au moment où la grande crise économique des années trente se profile à l’horizon, en choisissant délibérément de s’intéresser au mysticisme et à la poésie, à la «métaphysique expérimentale» — se condamnait irrémédiablement à l’indifférence générale de la part d’un public qui avait d’autres préoccupations. Sans oublier leur appartenance à une même communauté, les collaborateurs de la revue se séparèrent bientôt.

Encyclopédie Universelle. 2012.